L’église de la Ferté-Loupière, édifiée et consacrée à Saint Germain à la fin du XVe siècle sur les vestiges d’un édifice du XIIe dont subsistent le portail et les piliers de la nef. À l’intérieur un très bel escalier à vis dessert le clocher.
L’église de la Ferté Loupière, en Puisaye, abrite un remarquable ensemble de peintures murales de la fin du XVe dont une très belle Danse Macabre, motif populaire à la fin du Moyen Âge en Europe, dont il ne reste que de rares exemples.
Seules une dizaine de représentations de Danses macabres subsistent en France dont une fresque à l’abbaye de la Chaise-Dieu en Auvergne. Restent en revanche quelques manuscrits illustrés qui servirent de modèles aux peintres de ces fresques, et dont vous en trouverez les liens plus bas.
La rareté du thème et la qualité de l’exécution des peintures de la Ferté Loupière font de l’église Saint-Germain un passage obligé si vous êtes dans l’Yonne.
La Mort est un motif récurrent du folklore médiéval : les épidémies de pestes, les guerres incessantes, la religion constituent une préoccupation majeure du quotidien. Le thème de la Danse Macabre est commun à toute l’Europe des XVe et XVIe siècles et sans différences marquantes d’un pays à l’autre. Colporté à travers l’Europe par les troupes de théâtre de rues sous la forme de vers, il également peint et sculpté sur les murs et les sols des églises, dans les cimetières, sur les murs extérieurs des cloîtres, les charniers, les ossuaires. Les manuscrits et les imprimés rassemblent eux, vers et illustrations. La Danse macabre du cimetière des Innocents de Paris, peinte en 1424, est considérée comme la première occurence de cette tradition. Aujourd’hui disparue, un livre de l’éditeur Guyot Marchand, publié en 1485 en conserve la trace.
La sarabande
Sur les murs de l’église figurent également trois autres sujets :
– « le Dict des Trois Morts et des Trois Vifs », à la gauche de la Danse Macabre, en partie haute,
– « Saint-Michel terrassant le démon », en partie basse sur la gauche,
– « la Vierge de l’Annonciation », en partie basse du mur sur la droite.
Succédant au Dict des Trois Morts et des Trois Vifs, un acteur à son pupitre et trois squelettes portant des instruments de musique ouvrent la Danse Macabre sur la partie gauche du mur de l’église.
La sarabande mêle les morts et les vivants sur près de vingt-cinq mètres. Dix-neufs couples « mort/vif » se succèdent, les « vifs » parés des insignes de leur rang. L’ordre de lecture respecte l’ordre social, et alterne le laïque et l’ecclésiastique. Le dernier squelette salue la fin de la danse. Il est entouré par le Clerc et l’Ermite.
Les morts emmènent avec eux les vivants dans ce mouvement irresistible où, comme dans les gravures sur bois de Guyot Marchand, l’on retrouve les groupes unissant le laïque et l’ecclésiastique et leurs squelettes respectifs : pape-empereur, ou curé-laboureur.
Image du mur : à gauche de l’image, le Curé et le Laboureur flanqués des squelettes semblent prendre pour modèle les gravures sur bois du manuscrit de Grenoble ci-dessous. Même attitude, même vêtements. Gravure de Danse Macabre, Paris, Guyot Marchant, 1485. Le Curé et le Laboureur. Gravure sur bois. Bibliothèque municipale de Grenoble. Voir aussi sur Gallica.
Un sermon en images, accessible à tous
La Danse Macabre, est une invite au repentir et à la pénitence, ainsi qu’à l’humilité : sort commun des princes et des plus pauvres, ils seront d’une manière égale la proie des vers.
Le Destin fauche aussi bien le Pape, plus haut dignitaire à l’époque médiévale, que l’ermite. La richesse, les honneurs, la gloire ne sont rien au moment du trépas et cette « égalité » devant la mort est la promesse d’une vie nouvelle et éternelle.
La hiérarchie sociale de la société médiévale est néanmoins respectée : le Pape, plus haut dignitaire, figure en tête du cortège, suivi sur le mur par l’Empereur, le Cardinal, le Roi, le Légat, le Duc, le Patriarche, l’Archevêque, le Connétable, l’Évêque, l’Amoureux, l’Avocat, le Ménestrel, le Curé, le Laboureur, le Cordelier, l’Enfant, le Clerc et enfin l’Ermite, portant barbe blanche et chapelet à boules. Si nul n’échappe donc au Destin, le jour du Jugement Dernier, ce sont tout de même les plus « grands » qui ouvriront la marche, respectant ainsi l’ordre social établi.
Des peintures longtemps occultées
Découvertes en 1910, sous un badigeon, les peintures avaient été réalisées sur enduit sec (enduit de chaux) avec des pigments naturels, les ocres de Puisaye. La restauration de 1953 a mis au jour leurs teintes exceptionnelles.
Le rappel de l’égalité devant la mort quelle que soit la condition sociale qu’illustre la Danse Macabre, idée acceptée à la fin du XVe a sans doute été perçu différemment par la suite et pourrait expliquer le badigeon dont les murs furent couverts pour occulter ce nivellement social choquant. Ironie du sort, c’est grâce à ce badigeon que ce superbe ensemble nous est parvenu intact.
Saint-Saëns et Bergman exploiteront également le motif de la Danse Macabre
À la fin du XIXe Saint-Saëns écrit la merveilleuse Danse Macabre, grand classique de la musique symphonique française. La harpe qui ouvre les réjouissances est suivie par le son du violon comme désaccordé pour secouer les morts. Le compositeur introduit le xylophone, une première alors dans un orchestre symphonique, et traduit ainsi malicieusement le claquement des os des squelettes qui dansent. La sarabande se clôt au petit matin et tous se séparent au son du chant du coq qu’interprète le hautbois solo.
Dans Le Septième Sceau, tourné en 1957, en pleine guerre froide, la menace de la peste noire fait écho à celle de l’affrontement des deux blocs. À son tour, Bergman fait référence à la Danse Macabre, en particulier dans deux scènes du film :
- La scène qui précède la confession du Chevalier : un peintre, avec lequel fraternise l’écuyer, est en train de réaliser une Danse Macabre sur un mur de l’église où le Chevalier se rend à confesse.
Il existe dans une église près de Stockholm, une peinture ayant aussi fortement inspiré Bergman. Située dans l’église de Täby et peinte par par Albertus Pictor, elle figure la Mort jouant aux échecs, et date également de la fin du XVe siècle.
- La scène finale : une sarabande à contre-jour, en haut de la colline. La silhouette des personnages principaux du film se découpe comme une guirlande de papier, à la file, enchainés les uns aux autres dans cette farandole menée par la Mort. La séquence aurait été réalisée au dernier moment par Bergman, inspiré par la lumière de l’instant, avec l’aide d’une partie des comédiens et de quelques techniciens encore présents.
À visiter également
Le jardin du Prieuré
Attenant à l’église, le jardin se trouve à l’emplacement du celui des moines de l’ancien prieuré près d’une belle grange à dîme. Propriété de l’ancien maire qui l’a souhaité ouvert à tous, il mêle fruits, légumes, fleurs et plantes d’ornements entre des allées gazonnées.
La visite du jardin est libre et gratuite.
Infos pratiques
La Ferté-Loupière se trouve :
– à 27 km au nord-ouest d’Auxerre.
– à 17 km de Joigny, première sortie (№ 18) bourguignonne de l’autoroute A6 en provenance de Paris.
Liens
Le site des Amis de l’Eglise de La Ferté-Loupière.
Un livre de l’éditeur Guyot Marchand, publié à Paris en 1486, ainsi que des manuscrits enluminés du XVe siècle et des essais sur la danse macabre sont consultables sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France.
Un article de Pierre Vaillant datant de 1975, et faisant partie d’un numéro thématique plus large: La mort au Moyen Âge. À consulter sur le portail Persee. La danse macabre de 1485 et les fresques du charnier des Innocents
À la Bibliothèque municipale de Grenoble est conservé un manuscrit de la Danse Macabre avec gravures sur bois, datant de 1485. Cette édition, seul exemplaire connu en France, est regardée comme la première de toutes les éditions des danses macabres. Il provient d’un don du Monastère de la Grande-Chartreuse. Pour visualiser le manuscrit.
Beaucoup de liens vers des manuscrits de Danse Macabre sur le site Archives de littérature du Moyen Age.
Les murs de l’église de Täby sont magnifiquement recouverts de peintures d’Albertus Pictor, la plupart en excellent état, exceptée la fameuse scène d’échecs qui inspira Ingmar Bergman.
Un site, illustré de nombreuses photos (en suédois) est consacré au peintre et liste les églises qu’il a décoré dont celle de Täby.
Le site de ressources en ligne du Nordiska museet présente également une photo de la peinture murale d’Albertus Pictor dans l’église de Täby
Le site de l’abbaye de la Chaise-Dieu en Haute Loire.
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